Sali par une campagne de dénigrement, l’ancien commissaire général de l’UNWRA, le Suisse Pierre Krähenbühl, attend sa réhabilitation officielle depuis qu’un rapport de l’ONU, rendu public par la RTS en décembre dernier, l’a lavé de tout manquement grave. Sans succès. Voici pourquoi.
Commençons par rappeler les faits. En mars 2014, Pierre Krähenbühl, ancien directeur des opérations du CICR, prend ses fonctions de commissaire général de l’UNWRA, l’agence des Nations Unies chargée de l’aide aux réfugiés palestiniens. Il devient le plus capé des hauts fonctionnaires internationaux suisses. Avec l’arrivée au pouvoir de Donald Trump, début 2017, et la nomination de son beau-fils Jared Kushner comme haut conseiller puis celle de Mike Pompeo comme Secrétaire d’Etat, l’UNRWA, contestée depuis toujours, devient une des cibles privilégiées de l’Administration Trump, résolument pro-israélienne.
Suite à la décision des Etats-Unis de couper leur subventionnement à l’UNRWA (360 millions de dollars), Pierre Krähenbühl est contraint de parcourir le monde - avec succès - pour combler le trou laissé par le retrait américain. Fin 2018, le responsable de l’éthique de l’UNRWA, Lex Takkenberg, rend un rapport interne confidentiel dans lequel il dénonce les méthodes de gestion du cercle rapproché du commissaire général. En mars 2019, une enquête interne est diligentée à la demande du secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres. Fin juillet 2019, le rapport confidentiel est dévoilé au public par une fuite sur AP et Al Jazeera.
Aussitôt, la Suisse, dont le conseiller fédéral Ignazio Cassis avait déjà fait part publiquement de ses doutes à l’égard de l’UNWRA en prétendant qu’elle faisait davantage partie du problème palestinien que de sa solution, suspend sa contribution additionnelle de 2 millions. Une campagne internationale de dénigrement se met en place.
En novembre 2019, Pierre Krähenbühl démissionne. Douze mois plus tard plus tard, le rapport des enquêteurs de l’ONU blanchit le Suisse et ne relève que des broutilles concernant des problèmes de management et de respect de procédures. Le 17 décembre, la RTS diffuse un Temps présent qui reconstitue la trame des événements et dévoile les conclusions du rapport qui disculpe le commissaire général. Avant, pendant et après l’émission, des pressions arrivent de toutes parts pour tenter de la faire supprimer ou de la modifier. La nouvelle de la non-culpabilité de Pierre Krähenbühl est relayée dans de nombreux médias et sur les réseaux sociaux mais reste ignorée à Berne et à New York...
Depuis lors, rien n’a bougé. Silence radio. Le DFAE comme l’ONU sont restés muets comme des carpes tandis que Pierre Krähenbuhl attend toujours une réaction officielle, une clarification et une clôture formelle de la procédure et, le cas échéant, une réhabilitation. Après tout, il s’agit de l’honneur de l’un de nos hauts fonctionnaires et de la crédibilité de notre pays à assumer des fonctions dirigeantes dans les organisations internationales.
Que s’est-il passé ? Pourquoi ce silence ? Cette injustice ? Ces lâchetés ? Le DFAE, l’UNRWA et l’ONU auraient pourtant tout intérêt à montrer qu’aucune faute grave n’a été commise et que cette affaire n’a été qu’une tempête dans un verre d’eau, une tentative de kompromat montée par l’administration américaine, le gouvernement israélien et leurs réseaux de soutien, qui ont sauté sur cette occasion inespérée pour tenter de couler l’UNWRA en déstabilisant son directeur. Ce n’est pas la première fois. D’autres hauts fonctionnaires internationaux, tels que le juge Richard Goldstone et le rapporteur spécial Richard Falk avaient déjà été la cible de très violentes campagnes de dénigrement par le passé à cause de leur position critique à l’égard de la politique israélienne en Palestine.
L’enquête de la RTS, réalisée par Xavier Nicol et Anne-Frédérique Widmann, démonte minutieusement la mécanique qui s’est enclenchée suite à la publication du rapport interne de l’éthicien et rend publics pour la première fois les éléments du rapport onusien qui blanchissent largement Pierre Krähenbühl. Les remarques retenues portent essentiellement sur le style de management et la procédure de recrutement de deux cadres, toujours très lourde et très complexe dans la lourde machine bureaucratique onusienne. Les autres griefs, et notamment l’abus présumé de voyages en classe business, ont été abandonnés. Selon les règles de l’ONU, les hauts fonctionnaires de ce rang sont autorisés à voyager systématiquement en classe affaires, ce que Pierre Krähenbühl n’a fait que de façon épisodique. Contrairement à ce que certaines rumeurs ont laissé entendre, Pierre Krähenbühl n’utilisait pas non plus de luxueuses limousines Mercedes.
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